Cette série d’interviews met en lumière des personnes exerçant une activité en rapport avec le milieu musical. Cet épisode est consacré à Stéphane Labas, Directeur / Programmateur de L’EMPREINTE (77), une structure dédiée aux concerts et à l’accompagnement d’artistes en développement.
Nom Labas
Prénom Stéphane
Quelle est ta profession et depuis quand ?
Directeur Programmateur depuis plus de 25 ans maintenant et depuis 2004 à l’Empreinte en Seine et Marne (77).
Quel est ton rôle ?
Je gère l’Empreinte qui est une SMAC, Scène de Musiques Actuelles, c’est-à-dire un équipement consacré à la musique. Dans ce cadre, je m’occupe de la gestion du personnel, du budget et je suis le directeur artistique. Je traite aussi tous les aspects liés à la stratégie, au développement et au fonctionnement de l’équipement.
Quelle est l’histoire de l’Empreinte ?
C’est une salle qui est sortie de terre en 1999 à l’initiative de la ville de Savigny-le-Temple dans le cadre du label d’Etat cafés-musiques qui aidait à l’investissement dans des lieux de diffusion et de pratiques musicales. Il s’agissait de permettre la diffusion de musique, la pratique amateur et le renouvellement de la scène musicale.
La structure se compose de deux salles de concert de 400 et 150 places, trois studios de répétions et un studio d’enregistrement. L’Empreinte emploie neuf permanents dont deux qui partagent leur temps avec Le Plan, une salle située à Ris Orangis (91). Certains postes ont été mutualisés car les deux salles dépendent de l’agglomération du Grand Paris Sud. Il y a aussi deux apprentis qui complètent l’effectif.
L’Empreinte est une salle de concert mais c’est aussi une structure qui accompagne les artistes amateurs. De quelle manière ?
Déjà, il faut préciser la notion d’artiste amateur. Il s’agit d’un artiste ou un groupe dont la source de revenus principale n’est pas issue de son activité artistique. On y trouve des débutants, des gens qui ont déjà une vraie carrière et d’autres qui sont dans l’entre deux. On intervient aussi bien sur l’administratif ou l’artistique en mettant l’accent sur ce dont ils ont le plus besoin. On suit aussi des carrières dans le cadre des résidences longue durée en offrant aux artistes la possibilité d’utiliser nos installations et d’avoir le temps de la création.
Pour des artistes en devenir, on les met en avant le plus possible pour essayer de faire en sorte qu’ils soient repérés par des professionnels. Lorsqu’ils commencent à avoir un entourage lié à l’industrie musicale, un label ou un tourneur par exemple, on poursuit l’accompagnement en travaillant avec les partenaires pour voir où nous pouvons intervenir afin de les aider à développer le projet. Ces actions sont au cœur de notre projet et c’est ce qui nous passionne tous.
Est-ce que l’Empreinte bénéficie de subventions ?
Oui, l’équipement a des financements croisés, de la part de l’Etat par le biais du label SMAC mais aussi de la région et de la communauté d’agglomération avec des financements attribués aux structures culturelles qui favorisent et accompagnent des projets musicaux. Les recettes directes (billetterie, locations…) représentent environ 20% des recettes globales alors nous ne pourrions pas mener toutes nos actions sans ces aides qui nous permettent d’avoir une assise économique et de valoriser notre projet. Cela nous permet de faire ces accompagnements artistiques sans contrepartie financière et aussi, de proposer des places de concert à 27€ au maximum.
Bien entendu, nous avons besoin de remplir la salle régulièrement mais ce n’est pas le but principal. Notre mode de fonctionnement économique nous permet d’avoir une liberté artistique sur le choix des programmations et de travailler sur ce que l’on souhaite, ce que l’on veut et ce que l’on défend. Nous avons une vraie mission de service publique et, à titre personnel, la culture en banlieue est un sacerdoce. Une programmation attractive et rayonnante est aussi un moyen de valoriser le territoire parce la banlieue ne fait pas forcément rêver.
Le Plan est une autre salle connue de la banlieue sud de Paris. Êtes-vous concurrents ou partenaires ?
On est partenaires et même complémentaires ! Déjà, nous partageons deux collaborateurs puisque nous dépendons de la même communauté d’agglomération (ndr : Grand Paris sud). On travaille sur une politique tarifaire commune pour les services proposés. On développe des pistes de collaboration et de mutualisation depuis quelques années mais notre objectif est d’aller encore plus loin pour créer une synergie entre nous même si la plus belle salle reste la mienne et mon équipe la plus cool (rires).
Comment se prépare la programmation d’une saison ?
Je travaille à l’ancienne c’est-à-dire que je bosse au trimestre ou au semestre. D’abord, je recherche des groupes qui vont être locomotives pour attirer le reste. Ensuite, je travaille sur un axe de développement ou d’émergence. Cette année, l’accent est mis sur le club qui va bénéficier de gros investissements en termes d’équipements son et lumière et qui s’ouvre à des soirées spéciales. Tout d’abord, les Apéros Metal, un évènement gratuit avec des interviews/conférence de professionnels et le showcase d’un artiste. L’idée est d’offrir la possibilité aux gens de se retrouver une fois par mois, de rencontrer des acteurs et de découvrir des groupes. Il y a aussi, chaque mois, un concert avec un artiste émergent à l’affiche qui est gratuit pour les adhérents et à 10€ pour les autres. Ce sont des projets auxquels je tiens car je veux que les gens puissent faire des concerts en y mettant le moins d’argent possible.
Quelles ont été les conséquences de la pandémie sur le fonctionnement de l’Empreinte ?
On a mis en place tout un travail autour de la vidéo avec l’Empreinte TV et la diffusion de concerts en streaming. L’enjeu était de garder un lien avec le public et les artistes pendant cette période. Les gens nous ont témoigné leur soutien ce qui nous a fait beaucoup de bien. Dès qu’il a été possible de jouer, on a programmé des concerts avec une jauge limitée à 35 personnes pour tenir compte des règles sanitaires imposées. Par la force des choses, on a énormément réfléchi au projet, sur le sens de notre métier et ça nous sert aujourd’hui. On s’est renouvelé et ça nous a fait du bien.
En ce moment, des groupes annulent des tournées (manque de préventes, hausse des coûts). As-tu constaté une baisse de la fréquentation des concerts à l’Empreinte et est-ce que ça t’inquiète sur le moyen terme ?
Je ne constate pas une baisse de fréquentation mais une chose est sûre, quand tu dépenses ton budget mensuel pour aller à un gros concert à deux et que ça t’a coûté 300€ plus un t-shirt à 50€, derrière, tu ne peux pas claquer encore 30€ ou 40€ pour aller voir un groupe dans une salle moyenne alors tu n’y vas pas. On est sur des niveaux tarifaires inadmissibles, la problématique est là. Quand tu vois qu’il est plus facile d’aller à l’Opéra de Paris que de te payer une place pour aller voir METALLICA, il faut se poser les bonnes questions. C’est une tendance qui correspond à un calcul de très mauvais augure à court terme. On assiste aussi à la catégorisation des places de concert et c’est inadmissible. Le spectacle vivant est un moment de partage qui doit réunir tout le monde peu importe ta religion, ton origine, tes revenus ou ton âge. Cette catégorisation du public, de séparer les populations y compris au sein d’une fosse va nous mener droit dans le mur.
Pour continuer sur un ton plus léger, je te propose de répondre à un questionnaire de Proust revisité afin d’apprendre à te connaître.
Quelle expérience professionnelle a été la plus enrichissante au sens propre et figuré ?
La première fois que j’ai lancé un atelier dans un centre pour jeunes handicapés, au Jard à Voisenon (77). Je me suis rendu compte de l’importance qu’on pouvait avoir dans l’inclusion des personnes. C’est l’expérience humaine la plus enrichissante que j’ai eu.
Sinon, ça a été quand j’ai récupéré la salle l’Usine à Chapeaux (ndr : à Rambouillet – 78) à la fin des années 90 en pleine période néo metal et reggae. On a fait des trucs fous et un des plus beaux moments est le concert de Mano Solo le jour de son anniversaire.
Quand et comment es-tu tombé dans la marmite du Hard Rock ?
Le premier album de hard rock que j’ai écouté était « Back In Black » d’AC/DC. J’avais 8-9 ans quand ma sœur a acheté ce disque. J’ignore ce qui s’est passé dans ma tête, si c’est à cause des cloches ou du son des guitares, mais ça a été le début de mon histoire. Ce disque a eu une résonnance qui ne m’a jamais quittée. Ensuite, je me suis fait ma culture musicale en écoutant plein de choses différentes, de Goldman à Maiden en passant par U2 ou Alan Parsons Project.
Quel a été ton 1er concert ?
Mon tout premier concert a été le groupe GOLD, puis Goldman sur la tournée « Entre gris clair et gris foncé ». Le troisième, IRON MAIDEN avec Ace Frehley au Coliseum à New York. Mon quatrième et premier concert de hard rock en France, MÖTLEY CRÜE et SKID ROW au Zénith de Paris.
Les groupes que tu préfères ?
RADIOHEAD et comme groupe français KLONE. Le groupe que je déteste le plus, car il m’a niqué ma madeleine de Proust, c’est GUNS N’ROSES. Il n’y a plus rien à attendre de ce groupe, il est temps qu’ils arrêtent. En ce moment, j’écoute 1000Mods qui sera à l’affiche du festival Grand Paris Sludge qu’on a monté avec Garmonbozia (ndr : 22 et 23 avril à l’Empreinte). Je te conseille aussi d’écouter GOROD qui viendra jouer le 11 mars avec DROPDEAD CHAOS et NERVD. Et sinon, PEARL JAM, THE DEAD DAISIES, GOJIRA… je pourrai t’en citer une centaine (rires).
Les albums que tu préfères ?
« Ok Computer » de RADIOHEAD. Le seul que j’emmènerai sur une île déserte. Je suis aussi un grand fan du dernier album de CROBOT, « Feel This » et de l’album « Black Sheep » d’AUSTIN MEADE.
Ta pochette d’album préférée ?
« Holsters and Rituals » de KNUCLKE HEAD. Ce disque est une perle.
Dans la rubrique Meet and Greet, cite une rencontre qui t’a marqué et pourquoi ?
Quand j’ai fait venir un de mes groupes de jeunesse : FASTER PUSSYCAT. Je me souviens quand Taime Downe est sorti de son tour bus et qu’il est venu me remercier de l’avoir programmé. J’étais comme un gamin avec tous mes imports japonais en mains (rires). Si un jour on m’avait dit que… C’est ce genre de moments qui fait remonter ta jeunesse, ce côté fan qui te fait garder la passion et te rappelle le pourquoi tu t’es battu pour faire ce que tu fais aujourd’hui.
Je pourrais aussi citer D.A.D. que j’adore et que j’étais très heureux de faire. Ce groupe est sur le dessus du panier. Ils ont un répertoire incroyable et ce sont de vrais passionnés.
Une rencontre que tu aimerais faire et pourquoi ?
Il y en a deux. Michael Monroe qui est l’une de mes idoles et le maître incontesté. Et Mike Tramp qui est aussi un vrai passionné. Il y a un vrai truc avec ces mecs.
Parmi tous les groupes qui sont venus à l’Empreinte, lequel a eu la demande la plus atypique ?
WATAIN qui avait demandé un litre de sang de porc frais (rires). Ma directrice adjointe est allée voir son boucher et elle est arrivée avec son petit baril de sang frais. Finalement, le groupe a préféré jeter sur le public du sang qu’ils avaient déjà avec eux quand ils sont arrivés. Ça reste un excellent souvenir mais les mecs sont perchés (rires).
Au rayon souvenirs, cite un grand moment de satisfaction ?
Tip Stevens en juillet 2021. C’est l’une des premières dates qu’on a pu faire avec une jauge correcte compte tenu des contraintes sanitaires. C’est une vraie satisfaction de voir un artiste que tu accompagnes, et avec lequel tu travailles depuis un moment, fédérer un public autour de lui. C’est l’aboutissement de notre travail. Et j’espère que le festival Grand Paris Sludge sera ma prochaine satisfaction car j’y crois beaucoup. Que le succès soit au rendez-vous afin de pouvoir renouveler l’évènement et le voir grandir au fil du temps.
Cite un grand moment de solitude.
On devait faire jouer un rappeur du nom de Guizmo et le jour J, il n’est pas venu (rires). J’ai fait jouer la première partie, on a offert un verre à chacun et on a remboursé les 160 spectateurs. Heureusement, ce moment de solitude ne s’est produit qu’une fois (rires).
Rubrique ménagerie. Le milieu Metal aime bien les dragons, les phénix et les bestioles couvertes d’écailles mais comme animal de compagnie, es-tu plutôt chat ou chien ?
Les deux mais actuellement j’ai un chat.
Le Metal c’est vital mais as-tu d’autres passions ?
Je suis un peu geek sur les bords et je suis passionné par l’univers des comics, de Star Wars, des mangas etc… J’ai une petite collection sympathique.
Es-tu plutôt du genre à avoir des remords ou des regrets ?
Pas de regret car je fais toujours tout avec passion. Des remords, oui car on ne prend pas toujours la bonne décision au bon moment. J’ai un exemple avec Stromae qu’on m’avait proposé de faire à ses débuts mais je trouvais que son titre était naze. C’était une belle connerie (rires).
Ce que tu détestes par-dessus tout ?
L’intolérance. Je déteste par-dessus tout les gens qui sont clivés et qui n’ont aucune ouverture d’esprit.
Le mot ou la phrase que tu utilises souvent ou ta devise ?
J’ai pour habitude de dire « Tu vois » comme si les mots ne suffisaient pas (rires). Mais ma devise est « ne pas perdre le sens », toujours garder le sens de ce qu’on fait.
Es-tu plutôt « c’était mieux avant » ou « le meilleur est à venir » ?
Je pense que le meilleur est à venir si on sait s’y prendre de la bonne manière. J’ai beaucoup d’espoir par rapport aux projets qui se montent et j’espère que ça fera évoluer des pratiques et développer beaucoup de choses. Il y a notamment la Fédération des Musiques Metalliques, les Triomphes du Metal... En France, on n’a jamais eu autant de groupes de qualité avec une vraie envergure artistique. On a une scène incroyable qu’il faut soutenir. Donc le meilleur est à venir.
Quels sont tes espoirs pour cette année ?
Que les gens répondent présents aux évènements lancés cette année (les soirées découvertes au club, les apéros metal etc…). J’aurai réussi mon pari si le public se déplace de plus en plus nombreux et de plus en plus souvent pour découvrir des artistes inconnus.
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