Cette réédition du 3ème album (le meilleur ?) de Polly Jean HARVEY (LP vinyle + démos) me donne l’occasion de vous dire quelques mots sur une des productions les plus rock de la belle anglaise, histoire de bien démarrer 2021.
Paru en 1995 « To bring you my love » voyait la première apparition de Mick HARVEY (basse) associé au batteur Jean-Marc BUTTY, au guitariste John PARISH et à pas mal de guests. L’album fut produit par FLOOD un des producteurs les plus en vogue de la fin du siècle dernier (U2, NINE INCH NAILS, DEPECHE MODE…).
Après les albums initiaux "Dry" (1992) et "Rid of me" (1993), la jeune Polly Jean (26 ans à la sortie de cette galette) était très certainement torturée par sa condition féminine et ses rapports aux hommes, tant l'album regorge d'allusions plus ou moins explicites au sexe, à l'amour et à la mort dans une version blues-grunge très roots. Cet album lui permit d'obtenir une consécration sur le plan international, cumulant de multiples nominations dont celui d'être 'un des meilleurs albums rock de la décennie 90' d'après les charts US...
"To bring you my love" débute par le titre éponyme. D'emblée le ton est donné avec un son rugueux, une mélodie lancinante, un rythme lent, une ambiance évoquant un tripot malfamé des bas-fonds londoniens plutôt qu'un piano-bar branché. PJ en profite pour nous sortir un phrasé en totale adéquation avec la zike grâce à des vocaux plaintifs mais aussi par moment hargneux et rebelles, ce qui nous vaut au final une prosodie musicale rentrant dans le cadre d'un grunge décalé (rappelons qu'à l'époque NIRVANA venait d'accéder au statut de groupe culte avec la quasi béatification de Kurt COBAIN décédé en 1994).
L'enchaînement sur "Meet ze monstra" permet au rythme de s'accélérer quelque peu tout en conservant cette impression de rugosité et de lourdeur qui ne vous quittera plus jusqu'au terme de l'écoute du disque. Ce morceau évoque de façon très imagée une jeune femme qui va rencontrer de nuit, un 'monstre', sous une pluie battante et noire ('Big black monsoon'): l'allusion à un rapport sexuel n'en est que plus explicite, quand on connaît les inspirations de PJ et en particulier Captain BEEFHEART, auteur d'un "Tropical hot dog night" un tantinet moins pudique...
"Working for the man" qui vient ensuite permet de poursuivre dans les évocations (Lou REED bien sûr et son "Waiting for the man") tout en s'enfonçant de plus en plus dans un univers musical toujours plus torturé. Si "C'mon Billy" est une petite ballade moins austère dans sa composante musicale, ses paroles sont bien tristes puisqu'elles rapportent le désarroi d'une femme enceinte ('dont forget me, I had your son') que ce malheureux Billy a résolu de quitter… la laissant seule avec son amour déchu et le fruit de celui-ci.
"Teclo": José María Teclo Morelos y Pavón fut un révolutionnaire mexicain du XVIIIe siècle, mais le rapport au texte n'est pas certain. Toujours est-il que dans cette chanson, la mort est présente même s'il peut ne s'agir que d'un amour qui se meurt. On arrive ensuite à "Long snake moan" morceau encore empreint d'allusions sexuelles évidentes, dans un rythme toujours très blues-rock version roots et rageuse, sur lequel le chant devient parfois un peu incantatoire. C'est pourquoi nombreux sont ceux qui ont vu là une espèce de rapport à la religion, d'autant plus que dans les paroles Dieu et Lazarre sont mentionnés (rappelons que le serpent est souvent rattaché au diable, à la tentation, au mal puisque c'est lui qui fit pêcher l'Eve originale), et que sur la pochette PJ a la tête baignée dans de l'eau: s'agit-il d'une allusion au baptême? C'est donc une chanson qui a torturé les méninges de beaucoup de fans, mais qui garde tout son mystère et c'est bien là le principal: que chacun puisse se l'approprier car au final il s'agit d'un des titres majeurs de l'album.
'Big fish, big fish swimming into the water, come back here and give me my daughter' sont les paroles susurrées à la fin du titre suivant "Down by the water" qui reste dans la même verve et les inspirations déjà mentionnées pour un morceau lui aussi des plus rugueux...Ce fut d’ailleurs à l’époque le premier single tiré de la galette, et un des plus gros succès de l’anglaise dans les charts aidé en cela par une bonne diffusion sur les ondes.
« I think I’m a mother » est également un titre lent et mélancolique, articulé autour d’une ligne de basse monocorde sur laquelle la voix de PJ est distordue par un vocoder lui donnant une consonnance grave. Le tempo est pulsatile et les vocaux quasi psalmodiés, comme sous l’emprise de substances prohibées. Tout le contraire de l’entraînant et léger « Send his love to me » qui amène à l’auditeur un peu d’air frais grâce à un orgue et des cordes savamment orchestrés.
Le disque se referme sur « The dancer » qui propose une sorte de résumé de l’ensemble de l’œuvre, PJ alternant chant plaintif et quelques envolées entrecoupés de cris aigus… tandis qu’un orgue en arrière-plan assure le tempo et que la gratte de PARISH se fait légère et envoutante. Comme si malgré la noirceur de l’œuvre, l’artiste voulait garder une note d’optimisme avec ce danseur virevoltant …
Ce splendide « To bring you my love » fut suivi par « Is this desire ? » (1998) moins noir mais tout aussi décalé, avant la pop commerciale plus formatée mais pas moins écoutable « Stories from the city, stories from the sea » (2000). PJ HARVEY accédait alors au statut (envié ?) d’icone féminine rock en rejoignant un panel de stars comme Patti SMITH, NICO ou Marianne FAITHFULL. Elle confirma cette image en sortant par la suite des albums aux connotations très variées, en tous cas loin des sentiers commerciaux qui s’étaient ouverts à elle. C'est ainsi que « Uh huh her » en 2004 mit d’emblée les choses au point pour un LP difficile d’abord et remettant le cap au rock rugueux dans la droite lignée de ce « To bring you my love ».
J’espère vous avoir donné l’envie d’écouter l’œuvre de cette artiste hors du commun, et surtout, si vous en avez l’occasion et si les concerts reprennent (gardons l’espoir !) ne la ratez pas en live car c’est sur scène que la dame se révèle totalement. Je garde encore en mémoire pour ma part les deux prestations auxquelles j’ai eu la chance d’assister comme de véritables scènes live hautes en intensité et en plus complètement différentes : concert ‘classic-rock’ au Zénith de Paris en juin 2004 (tournée « Uh huh her »), et tableaux polychromes à la mise en scène théâtrale dans l’ambiance plus intimiste du Bataclan en mai 2009 (tournée « White chalk »).
Tracklist :
1. "To Bring You My Love" 5:32
2. "Meet Ze Monsta" 3:29
3. "Working for the Man" 4:45
4. "C'mon Billy" 2:47
5. "Teclo" 4:57
6. "Long Snake Moan" 5:17
7. "Down by the Water" 3:14
8. "I Think I'm a Mother" 4:00
9. "Send His Love to Me" 4:20
10. "The Dancer" 4:06
Line Up :
PJ Harvey - vocals, organ, guitar (1, 4, 5, 8), piano (5, 6), vibraphone (1), marimba (9), bells (5), chimes (5), percussion (9)
John Parish - guitar (1, 2, 6, 9, 10), organ (6), drums (4-8, 10), percussion (1-4, 6, 7, 9, 10)
Joe Gore - guitar (2-4, 6, 7), e-bow (1)
Mick Harvey - bass (6), organ (9)
Jean-Marc Butty - drums (2), percussion (9)
Joe Dilworth - drums (3)
Pete Thomas - string arrangements
Sonia Slany - violin (4, 7, 9)
Jocelyn Pook - viola (4, 7, 9)
Jules Singleton - viola (4, 7, 9)
Sian Bell - cello (4, 7, 9)
Label : Island
Sortie : 27/02/1995
Production : Flood John Parish PJ Harvey
Discographie :
Dry (1992)
Rid of Me (1993)
To Bring You My Love (1995)
Is This Desire? (1998)
Stories from the City, Stories from the Sea (2000)
Uh Huh Her (2004)
White Chalk (2007)
Let England Shake (2011)
The Hope Six Demolition Project (2016)
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