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tool fear inoculum

Le chroniqueur a ses moments de doute, générateurs d’une angoisse sémantique, phraséologique et stylistique quand vient le temps de l’écriture, du jugement, de l’interprétation d’une œuvre musicale dont il aura peut-être pu éprouver l’orgueil d’en percevoir à tort ou à raison les motivations créatives de ses auteurs.

Beaucoup de ces chroniqueurs se sont fourvoyés par le passé, encensant telle galette qui aura tôt fini dans l’oubli, vilipendant telle autre au final adoubée par la masse des auditeurs anonymes n’ayant que faire de leurs appréciations subjectives. Le chroniqueur prendra donc le soin de se retrancher derrière cette subjectivité évidente d’un propos n’engageant que son opinion personnelle à défaut de pouvoir ou savoir deviner celle de ses congénères.

Après ces quelques précautions linguistiques et autocritiques, tentons d’aborder « Fear Inoculum » de Tool, album que les fans du groupe désespéraient de pouvoir écouter un jour puisque sa genèse et son élaboration au final le séparent de 13 années de son prédécesseur (« 10,000 Days », 2006). Et pourtant, ce n’est que le 5ème album du quatuor américain qui aura habitué ses adeptes à la patience et au flegme nécessaires et salvateurs face aux éventuels détracteurs de leur pourtant irréfutables et parfaites productions passées (-le décor est planté!-).

Certes, Meynar James Keenan aura su faire comprendre à ses admirateurs que sa verve et sa faconde ne s’étaient en aucun cas taries (cf. ses récentes productions avec Puscifer et A Perfect Circle), mais le fan est un anxieux de nature et au tempérament souvent exagérément inquiet en quête permanente d’une quiétude béate et d’un bonheur tranquille dont il espère être inondé à l’écoute de la puissance artistique des musiciens qu’il vénère. Or, ne nous voilons pas la face, fut-elle ou non dénuée d’attraits, ce nouveau Tool est un album incroyablement excitant (-défloraison à peine voilée!-).

Point n’est besoin à l’auditeur de connaître le passé glorieux de ces américains surdoués, tant « Fear Inoculum » possède une âme et une puissance majestueuses. Il y a d’abord ce titre énigmatique et au référentiel antique, incorporant dans son étymologie une part mystique et interrogative comme avait d’ailleurs déjà su le faire un autre mastodonte du genre dans un récent passé pour un retour (lui aussi) en tous points réussi (Faith No More « Sol Invictus », 2015). C’est ensuite une incroyable masse de travail puisque le LP dépasse largement l’heure d’écoute pour des morceaux dépassant souvent les 10 minutes preuve s’il en était besoin d’une inspiration toujours aussi prolifique et dense.

Autant le dire tout de suite, établir un résumé de quelques lignes relève de l’impossible lorsqu’on tente d’esquisser une approche de « Fear Inoculum ». L’objet débute  par un signal répétitif strident, tel un météorite lancé à toute berzingue dans le cosmos infini et se rapprochant de l’auditeur après avoir voyagé de nombreuses années. S’ensuit une mélodie toute en boucles répétitives, avant qu’une rythmique pulsatile évocatrice d’une vie toujours présente et vibrante ne viennent la contre-balancer. Dix minutes pour un titre introductif éponyme se terminant dans une ambiance metal lorgnant vers un indus policé et racé.

Passé cette mise en bouche le fan pourra pousser un soupir de soulagement. Il pourra se la réécouter moult fois pour mieux se l’approprier, la décortiquer, s’en imprégner jusqu’à la lie, jusqu’à plus soif, jusqu’à l’overdose auditive quand ses voisins courroucés viendront tambouriner à sa porte en menaçant de lui envoyer les flics pour qu’il daigne humblement baisser le son de sa chaîne stéréo. Faudra-t-il en arriver là ? Quelle folie que cette accumulation d’endorphines et de dopamine dans un cerveau maltraité par la vie moderne et ses turpitudes, ses vicissitudes et ses revers innombrables. Après tout quel mal y aurait-il à se faire du bien ? (-les voisins n’ont qu’à aller se faire voir !-)

Nous n’en sommes qu’au début, aux préliminaires, alors gare aux précocités impulsives et non contrôlées ! Car voici que le deuxième titre « Pneuma » et ses 12 minutes commence à lentement dessiner ses courbes musicales avantageuses, d’abord imperceptiblement dans un calme bienfaiteur et salvateur comme si le fan était plongé au milieu d’une assemblée monacale en plein recueillement liturgique pour une bouffée d’oxygène, un flash d’eau purificatrice et bienfaitrice. Qu’à cela ne tienne, le morceau là aussi va progressivement dérouler sa mélodie en la développant inéluctablement vers un prog-rock hallucinant d’équilibre et d’harmonie. Ostensiblement ce deuxième titre sans faille peut entraîner l’auditeur sensible à culbuter irrémédiablement dans un univers parallèle ou une sorte de quatrième dimension fantasmagorique qu’il puisera dans ses rêves les plus fous, au risque cependant d’y laisser quelques plumes, à défaut de quelques neurones si son cerveau en est encore pourvu !

Après une telle entrée en matière nos quatre musiciens conscients des dégâts potentiellement induits par leur œuvre, ont la présence d’esprit de nous proposer un intermède aux accents orientaux dénommé « Litanie contre la peur », en français sur la pochette. Pas grand-chose à en dire si ce n’est qu’il permet de souffler en attendant la suite. Celle-ci sera « Invincible » et se consommera sans modération en presque 13 minutes. Le style commence à imprégner les tympans des auditeurs, sans refrain, chorus ou autre leitmotiv simpliste, mais toujours en incorporant de multiples couches mélodiques répétitives, sensuelles et voluptueuses afin de mieux envelopper nos cerveaux soumis, asservis et incrédules face à tant de beauté artistique, d’esthétisme total et insoupçonné ! Malheur aux futurs imitateurs, plagiaires irrévérencieux qui n’auront que leurs yeux pour pleurer leur manque de créativité face à ces maîtres absolus.

Nouvel intermède avec  « Legion inoculant » précédent un monumental « Descending » (13 minutes) illuminé par les riffs d’Adam Jones jouant viscéralement en puisant son inspiration du plus profond de lui-même, comme si chaque note, chaque vibration de corde lui arrachait un lambeau de chair pour le mettre à nu, le tout sur une rythmique tribale pulsatile ici encore fondamentalement évocatrice d’un élémentaire instinct vital. Même si Tool a toujours pratiqué une sorte d’exégèse complexe de notre temps dans la conception de sa musique et ses textes, force est de constater ici qu’avec l’âge, ces musiciens semblent avoir une pleine maîtrise de leur art, poussant au maximum l’exploration des confins d’un style musical dont l’épithète de rock-progressif semble maintenant dépassé, en inventant une nouvelle voie inexplorée et mystérieuse dans ce labyrinthe musical qui nous alimente jours après jours (-prenez garde de ne pas vous y égarer et d’y éviter les mauvaises rencontres !-) .

C’est ainsi que le calme absolu de « Culling voices » associant piano et vocaux sur une grande partie de sa durée vient briser l’élan électrique et brutal du morceau précédent, même si le titre se termine lui aussi dans une éruptive et fougueuse ambiance heavy. A ce moment de progression de la galette l’auditeur tentera vainement de trouver une issue afin d’échapper à un trop plein euphorique, une extase voluptueuse, un bien-être vénal s’il n’arrive à s’arracher à un LP qui aura imperceptiblement réussi à l’asservir piste après piste.

Mais il est trop tard. Car si sur « Chocolate chip trip » et ses modestes 4 minutes Tool propose une sorte d’électro-prog bruitiste faite de loops hypnotiques répétitifs évocateurs d’une liaison improbable entre un combo comme Trans Am et un mutant nu-metal schyzophrène - où l’on retrouve la pulsatilité régulière d’une vie dont on penserait à tort qu’elle avait fui le quatuor pendant cette longue genèse-, l’auditeur périra corps et âme sur la pénultième piste énigmatiquement dénommée « 7empest » qui en plus de 15 minutes saura l’anéantir définitivement. Ce titre ultime va décliner derechef une introduction calme, limite désuète avec ses tintements de clochettes, ses boucles de piano, avant de rapidement laisser la place à une gratte laminant tout sur son passage, associée à un chant rugueux fortement évocateur des débuts du groupe (on pense principalement à leur premier LP « Undertow »,1993) en particulier par la manière de chanter de MJK, dévoilant ainsi à ceux qui ne s’en seraient pas rendu compte la colossale évolution et maîtrise de son chant durant toutes ces années. 

Enfin l’album se termine de façon éminemment interrogative sur « Mockinbeat » en 2 minutes bruitistes pouvant laisser libre cours à l’imagination débordante et fantasque d’un auditoire conquis s’il a survécu jusque là ...

Faut-il conclure ou non une kro qui m’aura pris la tête, mais comment faire autrement face à un génie musical si prégnant ? Il m’aura fallu plus d’une vingtaine d’écoutes pour tenter objectivement (-lol-) de décrire les différents sentiments qui m’ont traversé l’esprit sur cette magnifique production signée Tool, regrettant avec d’autant plus d’intensité le fait de les avoir ratés pour leur date hexagonale cet été à Clisson. Snif ! Que ce monde est cruel…Allez, je m’en vais de ce pas m’en remettre une bonne dose, m’inoculer à nouveau (sans peur) ce délicieux hydromel musical, en espérant avoir su convertir des lecteurs à cette nouvelle galette.

Tracklist :
1. Fear Inoculum 10:20
2. Pneuma 11:53
3. Invincible 12:44
4. Descending 13:37
5. Culling Voices 10:05
6. Chocolate Chip Trip 04:48
7. 7empest 15:43.



Line Up :
Maynard James Keenan : chant
Danny Carey : batterie
Adam Jones : guitare
Justin Chancellor : basse

Label : Volcano Entertainment, RCA Records
Sortie : 30/08/2019

Discographie :
1993 : Undertow
1996 : Ænima
2001 : Lateralus
2006 : 10,000 Days
2019 : Fear Inoculum






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