L'exemple d'un mauvais chroniqueur ! Merci à Poumo-Thorax pour le scan de ce collector, dont j'avais un bon souvenir ! Une chronique de Philippe Manœuvre himself, un grand visionnaire pris en flag !
Hello!
Je me suis amusé à copier la préface que Manoeuvre avait écrite pour le Numéro spécial AC/DC de Hard Rock Magazine!!! Que de paradoxes, de contradictions quand on y associe cette chronique de disque! En plus, Je collectionnais Rock N Folk à une époque et le premier article paru dans ce journal fût en 1979 (couverture Supertramp) alors que Manoeuvre se décrit comme un fan Hard Core depuis 1976!!
Voila sa préface:
AC/DC le groupe qui les termine tous !
La toute, première fois où j’ai entendu parler d’AC/DC, c’était en plein mois d’Aout 1976. J’assurais le secrétariat de rédaction à « Rock & Folk », et que je sois pendu si je n’étais pas tombé sur l’été le plus monotone depuis l’invention de l’accord mi-sol-si. Il ne se passait rien. Sweet Nothing… Oh bien sûr, des fois on entendait des bruits à la gomme, Rod Stewart a acheté chez un bijoutier de Beverly Hills une paille de platine chromée 22 carats qui lui a coûté votre salaire des dix années à venir. Grace Slick s’est foulé le poignet en glissant dans sa baignoire. Des trucs comme ça. Vraiment nul l’été 1976 ! C’est pour ça que l’apparition d’un hurluberlu allumé de première ne passa pas précisément inaperçue dans les bureaux de la rue Chaptal. C’était… un lycéen français (je vous arrête tout de suite) qui revenait de Londres où il avait passé un mois de vacances. Et là, le gars, il était allé trainer ses boots flambants neuves du côté du Marquee Club. Et là, le gars il avait vu le groupe de sa vie. Des Australiens. AC/DC ! Il en tremblait le mec, en nous racontant ça. Une méchante vague de chaleur écrasait le petit immeuble vétuste où, bouche bée, tout le monde écoutait l’aventurier tricolore narrer par le menu son premier concert d’AC/DC, complet, avec Angus se déculottant, Bon Scott et ses tatouages…. Et le môme, comprenant rien à notre scepticisme, se torturait les mains de désespoir : « putain, pouvez pas comprendre ! AC/DC… Faut envoyer quelqu’un… J’sais pas… Faudrait en parler ! »
Dans un coin, les gars de la maquette se demandaient discrètement si le pauvre gars méritait la camisole de force ou si c’était le soleil. On finit par le raccompagner à la porte. Le disque est arrivé le lendemain. Parlez d’un hasard !
Extérieurement, ça promettait rien. Le gamin en culotte courtes dûment décrit par le fan transi était bel et bien dans nos murs. On posa le disque sur la platine et le riff gras, saturé et sale de « It’s A Long Way To The Top » empli l’air saturé d’électricité. En ce temps là, faut vous dire, les critiques de rock croyaient encore à l’idée d’un progrès dans la musique qu’ils décrivaient. On sortait du rock allemand, on allait bouffer du rock allemand ! Le rock d’AC/DC, usiné dans une candide exubérance par les hommes d’Angus, ne fit pas grande impression. Sauf chez les coursiers. Eux récupérèrent une copie de l’album et septembre arriva aux accents des grands solos rageurs et barbelés qui sortaient de leur cagibi. A l’étage, le rédac’chef hochait la tête chaque fois que les cornemuses de « It’s A Long Way To The Top » déchiraient l’air orageux : « C’est des Australiens ou des Ecossais ? »! Misère… Je vous raconte tout ça parce que je suis superstitieux. Et cette longue intro contient en son intérieur tout ce que j’avais à vous dire sur AC/DC.
Un groupe populaire comme on n’en fait plus, un groupe voué au succès le plus colossal. Une formation fétiche du plus large public, celui des trimardeurs, des bosseurs, celui des prolos qui aiment bien, après huit heures de trépanation obligatoire, deux heures de transports en commun et tout ça, se taper une canette de bière en s’écoutant un bon vieux rock. Pour tous ces gens, AC/DC allait devenir une institution, une religion. J’ai suivi l’évolution du groupe. Pas besoin d’être musicologue pour comprendre que Bon Scott se brûlerait vite. Avant les autres, Bon Scott, qui était de l’avis de TOUS les gens qui l’ont connu, l’un des êtres humains les plus gentils et les plus charmants que cette planète aie jamais porté. Bon Scott était différent. Habité. Un tantinet sorcier. Il en avait peut-être trop vu, sans soute trop vécu. Ca se sentait dans ses chansons. Quand son patois roublard d’Australien s’affinait pour devenir soudain l’argot tout craché de ces vieux Bluesmen aveugles du sud des USA… Comment faisait-il l’instant d’après pour péter de joie de vivre après vous avoir laissé entrevoir l’abîme, le gouffre ?
Ca, et puis Angus, Angus, qui aurait pu Ledzeppeliner, faire son virtuose, Angus, qui n’oubliait jamais que le rock doit rouler avant de décoller. Angus, dont les solos et les riffs décapitaient à qui mieux mieux les standards imaginés par son chanteur.
Depuis la visite du fan ému du début, AC/DC et moi, on était devenus familiers On se retrouvait autour du globe. Ils ouvraient pour les Dictators à New York : j’y étais. Pour la première fois, je vis Bon Scott cavaler d’un bout à l’autre de l’Academy Of Music, le petit Angus juché sur ses larges épaules. Les Dictators eurent un mal fou à passer derrière. AC/DC les bouffait tous. Je les revis au Pavillon de Paris, assurant la première partie d’un Rainbow déjà malade de la peste. La version de « She’s Got Balls » fut l’un des plus grands moments historiques de Rock’n Roll que j’aie jamais vu de ma vie. Cinglé.
Et les albums étaient de mieux en mieux ! Mort de Bon Scott. On se rend pas compte. On réalise même pas que c’est fini. Qu’il n’y aura plus de « Jack », de « TNT » ou de « Night Prowler ».
Je me souviens de la sortie de « Back In Black » comme si c’était hier. En Juin. Paris affichait une blanche décrépitude et AC/DC revenait en noir. C’était un autre groupe. La rythmique, désormais compenserait. Le groupe Boogie-bastringue était devenu une bête féroce, quelque chose comme l’équivalent musical de Rocky-Rambo-Terminator. Et Angus de se donner…
Bizarrement, le succès d’AC/DC devint monstrueux et incroyable APRES la mort de Bon Scott. Cette fois, nos Australiens touchaient le gros populo. Les campings. RTL. Vous, J’sais pas, mais moi ça me gonflait un peu cet engouement des charognards pour le macabre défi des survivants…
J’ai laissé tomber. Jusqu’à un festival en Suisse et en 1985. Là, pour les Monsters Of Rock, j’étais venu voir Mötley Crüe et Van Halen. Et je pris une démentielle claque AC/DC ! Comment faisaient-ils, nom de Dieu, pour déployer un show aussi fabuleusement excitant plus de deux heures durant ?
Restait un détail non négligeable pour que nos chéris le redeviennent totalement et absolument : manquaient des disques du calibre de « Sin City » ou « Riff Raff ».
La sortie de « Who Made Who », le morceau, est venue à point nommé pour ceux qui en auraient douté.
AC/DC revenait du grand marais des morts. En force. Ce titre unique, paru sur une compilation pas démente, nous les montre dans une veine créatrice fantastique. Vont-ils suivre ? Angus and Co ont-ils en réserve un album du même cru ?
Car « Who Made Who » est quelque chose comme la chanson classique géniale, démente, qui réconcilie le Hard Rock avec les radios, les télés, les hit-parades.
Rythmique d’Enfer, solo d’airain, vocal jovial, faut-il vous l’envelopper ? Non c’est pour AC/DC, tout de suite !
Alors plongez-vous avez délices dans les pages de ce mirifique numéro spécial, bande de petits veinards. Et faites avec d’autant plus de joie que vous le savez en vous : AC/DC LA SAGA CONTINUE !
Philippe MANŒUVRE (ami d’Angus)