Originalité : Je débute cette chronique sans avoir écouté
la moindre note de ce « nouvel » album de THE BEATLES ! Ne criez
pas à l’escroquerie, c’est simplement que ce concept-album
totalement inédit relève plus de la morale que de cette sacro-sainte
recherche d’objectivité. Pour le millésime 2006, certains
crieront au génie comme hurlaient les adolescentes entre 1962 et 1966,
d’autres au crime de lèse majesté en invoquant la mémoire
bafouée des deux absents et j’essaierai d’oublier le quasi-culte
que je voue aux Fab’ Four pour relever le défi d’une description
empirique. Trente six ans nous séparent de la fin officielle du groupe
le plus influent de l’histoire de la musique moderne mais il faut se
rendre à l’évidence ; les sentiments sont encore à
vif lorsqu’il s’agit d’émettre un avis quelconque
sur cette icône de la culture Pop. Pour beaucoup, le sort de Love
sera finalement très indépendant de sa qualité musicale.
Cependant, il reste un joker à citer, un simple nom, gage de talent
et d’une certaine probité en la personne de Sir GEORGE MARTIN,
une fois encore cette cinquième roue qui n’aura jamais été
moins anodine. Aidé dans cette ultime (?) collaboration par son fils
depuis qu’une ironie toujours cruelle s’est attaquée à
une oreille en or… Pour ceux ignorant encore d’où provient
ce nouveau matériel, sachez qu’il s’agit d’un mixage
révolutionnaire retravaillant non seulement des centaines d’heures
de labeur en studio mais surtout d’une reconstruction (quel autre mot
?) de morceaux mélangeant des titres que nous pensions à jamais
gravés dans le vinyle. Quand le Docteur Frankenstein retouche la plus
belle créature musicale du siècle dernier.
Mais trois cent pages de préambule ne sauraient remplacer une simple
écoute attentive de cet objet musical non identifié ! Une, deux
et plusieurs écoutes plus tard… J’essaierai de garder le
cap et d’éviter des superlatifs qui renseignent finalement si
peu ! Là où je croyais être déstabilisé,
je me retrouve conquis. Là où je craignais un opportunisme mercantile,
j’y ai vu une évidente légitimité. Là où
j’appréhendais des associations contre-nature, je n’ai
entendu que de la subtilité… Même la « forme »
s’inscrit dans l’héritage inconscient mais puissant du
plus bel ambassadeur de Liverpool, la pochette, le titre (implacable et ce,
à différents niveaux, après écoute), le livret,
une parfaite réincarnation de ce psychédélisme positif
toujours guidé par le talent et jamais par l’ego de musiciens
pourtant précurseurs… Cet « album » s’adresse
à diverses catégories ; le fan ultime (tellement évident
que je n’argumenterai pas), à l’amateur de raccourcis musicaux
souhaitant un best of d’une carrière si riche, à celui
plus exigeant, souhaitant son content de nouvelles sensations via une compilation
du troisième millénaire, aux plus jeunes d’entre nous
(ou bien ayant été élevés dans l’Amazonie
profonde) pour découvrir ce qui appartient maintenant à cette
fameuse culture générale minimale…
Certains morceaux ne bénéficieront que d’un simple mais
pas inutile dépoussiérage (surtout pour gommer les disparités
sonores liées aux progrès énormes en moins d’une
décennie d’activité), d’autres apparaissent sous
un jour totalement inédit (While My Guitar Gently Weeps,
le seul ajout contemporain avec des cordes estampillées 2006, Strawberry
Fields Forever dans une version splendide), enfin, comme précisé
plus haut, quelques titres ont été mixés entre eux. Ce
sont ces remaniements profonds qui étaient attendus au tournant et
force est de constater que George, logiquement presque, a développé
un mimétisme parfait avec les méthodes de travail des Beatles,
surtout entre 1965 et 1967. J’en veux pour preuve un unique exemple
; le joyau A Day In The Life, dans sa forme originelle, était
déjà un assemblage génial entre deux morceaux aux ambiances
distinctes, écrits séparément par les deux têtes
pensantes. Ici, tout coule de source, du presque anecdotique premier accord
emprunté à Hard Day’s Night en guise
d’intro du Get Back au nettement plus audacieux crossover
entre Drive My Car, The Word et What You’re
Doing ou le festif Being For The Benefit Of Mr. Kite
précédant le pachydermique I Want You (She’s So
Heavy) jusqu’au fameux « titre à l’envers
» (dans tous les sens du terme) Gnik Nus. Voilà
de quoi satisfaire les aficionados qui guetteront cet énorme quizz
en 26 morceaux sans gâcher pour autant le plaisir de néophytes
qui n’entendront que des arrangements certes sophistiqués mais
toujours brillants. Cette fin de phrase d’ailleurs, ne s’appliquait-elle
déjà pas au travail novateur des Beatles eux-mêmes durant
une bonne partie de leur carrière ? La passerelle séparant les
60’s de 2006 est clairement identifiée et répond à
l’illustre nom de George Martin. L’amour qui a donné le
titre à cet album revêt différentes formes mais surtout
la relation qui n’a jamais faibli entre vous et les quatre musiciens…